Voltaire et sa pensée
David Zbíral
Biographie
Les informations de base sur la vie de Voltaire sont traités assez bien dans les manuels et il n’est pas nécessaire d’en parler au long. Mais il faut quand même mentionner au moins quelques détails. François Marie Arouet qui prendra le pseudonyme littéraire de Voltaire est né en 1694 comme fils d’un notaire riche. À Paris, le jeune Voltaire devient connu comme un satirique éternel. Mais ce n’était qu’un de ses visages : son optimisme quant à l’homme et le progrès, l’optimisme que Voltaire déclare un peu partout, se mêlait pendant toute sa vie d’une mélancolie profonde et même d’un pessimisme sous-entendu.
Dans une conversation Voltaire a outragé un noble et il a dû partir pour l’Angleterre afin d’éviter l’arrestation. Là, Voltaire a connu une liberté qui n’était pas du tout concevable en France de l’époque et son séjour l’a influencé profondément.
Finalement Voltaire a pu rentrer en France. Là il a continué sa lutte incessante contre l’injustice ; c’était un savant qui ne se séparait jamais de la réalité quotidienne, un intellectuel engagé dans le meilleur sens du terme. Il aidait les gens qui étaient accusés injustement, il a commencé à écrire des pamphlets et des polémiques et sous le fameux slogan « écrasez l’Imfâme » il luttait contre l’Église (mais pas contre la religion).
Voltaire est mort en 1778. Juste avant sa mort il a proclamé qu’il vénérait Dieu, qu’il aimait ses amis, qu’il ne ressentait aucune haine pour ses ennemis et qu’il détestait la superstition.
L’œuvre de Voltaire
On n’a pas le temps de traiter en détail l’œuvre immense de Voltaire. Si l’on voulait seulement nommer tous les titres, ça prendrait plusieurs minutes. Parmi ces – si je ne me trompe – quatre-vingt dix-neuf tomes nous pouvons trouver drames, poèmes, romans, nouvelles philosophiques, œuvres historiographiques, critiques littéraires et dramatiques. Il faut aussi mentionner la vaste correspondance de Voltaire.
On peut facilement trouver la bibliographie de Voltaire ailleurs ; je ne vais nommer que quelques titres les plus célèbres:
- Art dramatique: Œdipe, La Mort de César, Zaïre. Ces pièces respectent l’esthétique classique.
- Historiographie: Le siècle de Louis XIV, Histoire de Charles XII, Essai sur l’histoire générale, sur les mœurs et l’esprit des nations.
- Romans et nouvelles philosophiques: Candide ou l’Optimisme, Memnon ou la Sagesse humaine, Micromégas.
- Traités philosophiques: Les Lettres philosophiques connus aussi sous le nom de Lettres anglaises, Dictionnaire philosophique, Le traité sur la tolérance.
Les idées de Voltaire
On ne va pas parler seulement de la philosophie de Voltaire. "Philosophie", c’est un terme trop étroit pour désigner la conception du monde de Voltaire. On a déjà évoqué le fait que Voltaire était un polygraphe : écrivain, auteur de pamphlets, savant, critique littéraire et dramatique etc. En outre, à vrai dire, Voltaire n’était pas un philosophe par excellence. Par exemple dans ses Lettres philosophiques il traite presque tout : physique, religion, art, politique, économie, le problème de l’âme etc. Pour nous orienter un peu dans ce mélange extrêmement varié j’ai choisi les thèmes suivants : 1.) la religion, 2.) le rapport entre l’homme et la nature et 3.) la conception de l’histoire et de l’historiographie.
Voltaire et la religion
Voltaire était un grand critique de l’Église catholique. Il ironisait par exemple le fait que les conciles ecclésiastiques ont condamné la notion des antipodes comme hérétique et pourtant les antipodes ont été découverts par ceux qui respectent le pape et les conciles et on y exporte activement la même foi qu’on croyait la destruction sure, au cas où on pourrait trouver un homme qui eût la tête en bas et les pieds en haut par rapport à nous.[1]
Mais quand on lit Voltaire, on voit qu’il critique non seulement l’Église catholique mais aussi le protestantisme anglais, le presbytérianisme, les Quakers... Comment faut-il comprendre cela ? Affirmer que Voltaire était un critique de la religion en tant que telle et former une image de Voltaire athée serait une mauvaise interprétation. En réalité c’était un homme profondément croyant. Mais il refusait deux aspects de la religion : 1.) le confessionnalisme (c’est à dire l’appartenance à une dénomination religieuse spécifique querellant toujours avec les autres) et 2.) ce qu’il considérait comme superstitieux.
À l’exemple des hérétiques médiévaux et des réformateurs, Voltaire confrontait l’état de l’Église de son époque avec l’Évangile. Ce qu’il concevait comme le véritable christianisme était une religion simple, rationnelle, humaniste, non confessionnaliste. D’après lui le judaïsme et le christianisme n’ont pas une valeur plus grande que les autres religions du monde. Dans sa conception, Europe cesse d’être le monde ; elle n’est plus qu’un monde. Ainsi Voltaire reprenait la tradition humaniste qui mettait en cause les fondements idéologiques du colonialisme et l’idée de conversion universelle des aborigènes au christianisme.
Quelle était la religion de Voltaire ? Aujourd’hui on utilise le terme déisme pour la désigner. C’est une religion non dogmatique, non métaphysique, fondée sur les valeurs morales et quelques conceptions considérées comme généralement acceptables pour chacun de la planète. Dans ce système Dieu est plutôt un horloger, créateur de l’Univers qui intervient peu dans les affaires du monde. Dieu est avant tout le garant des valeurs éthiques. Voltaire par exemple méprisait les efforts de prouver l’existence de Dieu. Il était convaincu que toute la nature nous montre qu’il y a un Dieu[2] ; je crois que l’article indéfini qu’il utilise dans ce contexte est très symptomatique.
Dieu est l’âme immortelle : ces deux sont, d’après Voltaire, les constituants de base de la Religion. Il écrit : « La raison humaine est si peu capable de démontrer par elle-même l’immortalité de l’âme, que la Religion est obligée de nous la révéler. Le bien commun de tous les hommes demande qu’on croie l’âme immortelle, la foi nous l’ordonne.[3] »
Dans cette religion les superstitions n’ont plus aucune place. La religion de Voltaire est rationnelle. Mais il faut ajouter que Voltaire critique les conceptions trop définies et trop assurées de Dieu. Il écrit : « Adorons Dieu sans vouloir percer dans l’obscurité de ses mystères.[4] » Il refuse aussi la méthode des preuves des idées religieuses, par exemple Dieu ; ces soi-disant preuves lui semblent complètement inutiles est folles.[5] Le centre de la Religion n’est pas dans les dogmes et les cérémonies. La vraie religion, c’est une foi simple et non dogmatique en Dieu.
L’homme, la société, la nature
L’homme est un être spécifique, supérieur aux animaux mais subordonné à d’autres entités.[6] Mais Voltaire entre en polémique avec l’idée de Descartes que les animaux ne sont que des machines. Après tout, écrit Voltaire, Dieu leur a donné les mêmes organes de sentiment et Dieu ne fait pas de travail inutile.[7] Voltaire accentue aussi que l’âme dans les conceptions les plus anciennes n’appartenait pas à l’espèce humaine seulement mais aussi aux animaux.[8] L’homme peut utiliser la nature pour mener et améliorer son existence mais non pas sans la respecter.
L’homme fait partie de la société. Il est déterminé par des forces externes mais il choisit lui-même d’agir selon les lois universelles ou contre elles. L’homme doit élire parce qu’il est né pour agir ; ne pas agir, c’est ne pas exister.[9] D’après Voltaire, le constituant de base de la société est l’amour-propre. Sans amour-propre on ne peut pas apprendre à éprouver la charité envers les autres, envers l’autrui. Ce sont la loi divine et la Religion qui doivent cultiver l’amour-propre pour en former un sentiment subtil qui peut initier le vrai amour chrétien, qui doit devenir la relation élémentaire de la société.
Quant à l’homme et le progrès, Voltaire est très optimiste.[10] Mais il est plus individualiste – dans le meilleur sens du terme – que son contemporain Jean-Jacques Rousseau. Voltaire distingue strictement l’homme et le peuple. Il croie profondément que ce n’est pas la volonté générale du peuple qui peut "écraser l’Infâme" : c’est avant tout la conscience humaine, cultivée par l’érudition et la Religion. Pourtant Voltaire deviendra par ironie du sort un des plus grand précurseurs de la Révolution. Mais révolte et Voltaire, ce sont deux pôles opposés.
La conception de l’histoire et de l’historiographie
Voltaire était convaincu que l’histoire européenne a connu quatre siècles heureux : le siècle de la Grèce classique, le siècle des grands empereurs romains, de Cicéron, Tite-Live etc., puis la renaissance et ensuite le siècle de Louis XIV.[11] Ce sont les siècles où les arts et l’érudition prospéraient.
Quand Voltaire traite en détail le siècle de Louis XIV, il met en relief qu’il veut « essayer de peindre [...] non les actions d’un seul homme », mais l’esprit même des gens et de l’époque.[12] Il écrit : « On ne s’attachera dans cette histoire qu’à ce qui mérite l’attention de tous les temps, à ce qui peut peindre le génie et les mœurs des hommes, à ce qui peut servir d’instruction, et conseiller l’amour de la vertu, des arts et de la patrie.[13] » Voltaire ne voulait pas concentrer les dates et énumérer les batailles mais saisir le principe unifiant, l’évolution de l’esprit humain, les forces motrices de l’histoire.[14]
La contemporanéité de Voltaire
Je suppose qu’il y a aujourd’hui peu de gens qui vont lire Le siècle de Louis XIV ou Les lettres philosophiques. Mais pourtant je crois que beaucoup d’idées de Voltaire restent très actuelles. C’est sans doute son anticolonialisme et son respect des autres nations. C’est aussi son esprit démocratique lié avec une certaine prudence quant au peuple ; comme si Voltaire savait d’avance que la domination du peuple peut aussi mener à la dictature, dictature pas moins absolutiste que celle de l’Ancien Régime. Même sa conception de l’historiographie reste très actuelle : l’historiographie ne peut plus, selon Voltaire, énumérer les faits seulement ; elle doit essayer de les comprendre comme la suite des causes très complexes et de l’esprit même de l’époque.
Et, pour conclure, c’est aussi le réalisme de Voltaire qui peut nous inspirer. Il écrit par exemple (non seulement à propos de l’astrologie) : « Consolons-nous de ne pas savoir les rapports qui peuvent être entre une araignée et l’anneau de Saturne et continuons à examiner ce qui est à notre portée.[15] »
Bibliographie
Störig, H. J., Malé dějiny filozofie, Zvon, Praha 1996.
Šrámek, J., Dějiny francouzské literatury v kostce, Votobia, Olomouc 1997.
Voltaire, Candide neboli optimismus, přel. Radovan Krátký, Hynek, Praha 1994.
Voltaire, Lettres philosophiques, I-II, Librairie Hachette, Paris 41930.
Voltaire, Siècle de Louis XIV, in: id., Œuvres complètes, vol. 16-18, Sanson et compagnie, 1791.
Publication de cette version : 11. 6. 2009 22:28
Dernière révision complète : automne 2000
Nombre de mots : 1761
Adresse : http://www.david-zbiral.cz/Voltaire.htm